vendredi 25 octobre 2013

Le Liban en plein coeur

Georges, militant d'extrême gauche, rencontre Sam un juif de Salonique, qui a échappé au régime des colonels. Une amitié se tisse entre les deux hommes et lorsque Sam tombe gravement malade, il fait promettre à Georges de monter l'Antigone de Jean Anouilh au Liban avec des comédiens de toutes les confessions et de tous les camps. Georges ne peut pas lui dire non. Délaissant sa femme et sa fille, il part à Beyrouth en ce début d'année 1982.
A son arrivée à Beyrouth, Georges va rencontrer chacun des comédiens. Il fait tout ce qu'il peut pour lever les difficultés, les réticences afin que tous puissent se retrouver pour quelques jours de répétitions et pour une unique représentation dans un ancien cinéma au coeur des combats. Au fur et à mesure de ses rencontres, Georges découvre les différentes interprétations que font les comédiens du texte en fonction de leur culture, leur religion ou leurs sentiments.
Pris entre ses convictions et les horreurs de la guerre, Georges tente malgré tout de mener à bien ce projet magnifique et utopique. Il ne s'agit plus d'afficher des convictions loin du terrain des opérations mais de les confronter à la réalité, au quotidien de ceux qui souffrent et qui ont tous de bonnes raisons de se défendre.
Sorj Chalandon nous embarque avec lui trente ans en arrière dans le feu et le sang des combats alors qu'il était reporter de guerre. Il recrée avec précision odeurs, images, bruits et nous précipite dans l'enfer de la guerre. J'en suis restée retournée. Il m'a fallu un peu de temps pour me remettre de ce livre mais c'est la marque des grands bouquins.
Le quatrième mur, Sorj Chalandon, Grasset, 2013

mercredi 16 octobre 2013

Rafael Claramunt et consorts

Maria Cristina Väätonen est devenue un écrivain célèbre en publiant très jeune La vilaine soeur, un roman qui lui a permis de régler ses comptes avec sa famille perdue dans un petit bourg du grand Nord canadien. Elle a laissé derrière elle un père taciturne, une mère déséquilibrée et une soeur jalouse. Alors qu'elle n'a plus aucune relation avec sa mère, cette dernière l'appelle à l'aide et lui demande de récupérer Peeleete, l'enfant de sa soeur Meena.
D'une écriture ciselée, soutenue par une narration originale, oscillant entre humour et gravité, Véronique Ovaldé analyse les racines d'un mal-être et d'une vocation littéraire. La vie de Maria Cristina nous est présentée d'un point de vue extérieur. Le narrateur, sorte de biographe, pèse, ausculte chacune des constantes qui ont fait d'elle la femme et l'écrivain qu'elle est devenue. Cette enquête commence dans sa famille où elle sort traumatisée par un mère bigote et sa culpabilité à l'égard de l'accident de Meena. Elle nous conduit à son départ pour l'université et sa rencontre avec Rafael Claramunt, un écrivain qui devient son amant et son pygmalion, jusqu'à son premier roman et sa nouvelle vie.
Chaque protagoniste est ainsi passé au crible, chaque moment terrible de son existence est passé au peigne fin. Le lecteur sait beaucoup de cette femme discrète qui s'est construite peu à peu, a pris son indépendance et a exorcisé comme elle a pu ses blessures. Tous les personnages ont leur part d'ombre dans ce roman mais ils ne deviennent pas tous des perdants, des plagiaires ou des brigands. D'un côté Judy Garland, personnage mutique, qui a probablement été en maison de redressement (qu'il appelle pudiquement centre sportif) et s'avère être un homme fiable ; de l'autre côté Rafael Claramunt, un authentique mystificateur qui maintient autour de lui l'image et l'aura du grand écrivain qu'il n'est plus.
J'ai aimé ce beau destin de femme et ses personnages atypiques mais le côté artificiel de la construction du roman m'a beaucoup gênée. Je ne suis jamais rentrée vraiment dedans et je me suis parfois même un peu ennuyée. Je reste au final mitigée devant ce magnifique écrin qui enserre une pierre semi-précieuse.
La grâce des brigands, Véronique Ovaldé, Ed. de l'Olivier, 2013






Merci encore à Priceminister pour ce livre !
Voici ma note : 14/20

vendredi 11 octobre 2013

Une ambiance délétère

Holly se réveille tard le matin de Noël. Rien ne va. Le repas n'est pas prêt, son mari part en trombe pour aller chercher ses parents à l'aéroport et sa fille lui fait la tête parce qu'ils n'ont pas ouvert les cadeaux ensemble comme à leur habitude. Sa fille Tatty est une adolescente aimante mais son comportement est étrange ce jour-là. Quelque chose trouble Holly mais elle n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Quelque chose qu'elle aurait rapporté de Sibérie, là où elle est allée chercher sa fille Tatiana.
Laura Kasischke signe une narration extrêmement bien construite. La tension montent peu à peu et elle sait vous tenir en haleine jusqu'au dénouement final. Qu'est-ce qui trouble autant Holly ? Que s'est-il passé en Sibérie ? Qu'arrive-t-il à sa fille dont le comporte est si inhabituel ? Tout concoure à créer cette étrange atmosphère : ce blizzard qui s'est levé, cette neige qui tombe, se dépose et s'égraine comme les pensées d'Holly. Cette ambiance duveteuse et éthérée vous entraîne dans une histoire à la lisière de l'inconscient...
Esprit d'hiver, Laura Kasischke, Bourgois, 2013

mercredi 2 octobre 2013

Mères en souffrance

Béatrice est auxiliaire de puériculture. Tous les jours, elle passe dans les chambres des femmes tout juste accouchées. Elle se souvient de sa vie passée lorsqu'elle sillonnait l'Europe avec des musiciens et des travestis et qu'elle dansait tous les soirs. La sédentarité et le manque de liberté lui pèse ainsi que ce milieu hospitalier qu'elle présente comme un univers carcéral qui emprisonne et maltraite les femmes.
Julie Bonnie fait un récit très largement autobiographique de sa vision très sombre de la maternité et de l'accouchement. Seules les femmes en souffrance, contraintes par la société à être de bonnes mères l'intéressent. Dans ce panorama, une femme fait figure d'exception : elle est heureuse. Son bonheur est critiqué par le personnel et ponctué par les commentaires négatifs de Béatrice sur son travail...
Je ne crois pas avoir une vision idéalisée de la maternité, mais trop c'est trop. La dénonciation à charge d'un système et d'une société sans nuances manque sa cible à mon sens. J'ai lu un bien plus beau texte sur le corps féminin et la violence faite aux femmes, il y a quelques années, il s'agit du très beau Qui touche à mon corps, je le tue de Valentine Goby. La forme comme son contenu m'avaient bouleversé et ce texte me paraît beaucoup plus intéressant sur ce thème que le livre de Julie Bonnie.
Chambre 2, Julie Bonnie, Belfond, 2013