jeudi 31 mai 2012

Corps en souffrance

Laure a un jour senti le froid envahir tout son corps comme un avant-goût de la mort à venir. Dans un ultime sursaut de vie, elle accepte de se faire hospitaliser dans le service du docteur Brunel avec lequel elle va construire pas à pas sa "renaissance". Au cours de ces longues semaines, Laure écrit dans son cahier son quotidien et décrit la mécanique infernale de l'anorexie. Ce désir de pureté et de légèreté qui se combine au pouvoir que l'on exerce sur son corps par le biais du jeûne, que Laure compare à une drogue. Toutes les ruses sont bonnes pour perdre du poids. Devant cette métamorphose, ses amis partent ou souffrent de la voir ainsi. L'apathie s'empare peu à peu de Laure qui n'a plus la  force de faire quoi que ce soit au point qu'elle en perd la parole et l'audition.
Pourtant ce corps squelettique est un message de souffrance que personne n'avait compris. Laure est marquée au fer rouge par le divorce et l'histoire compliquée de ses parents. Entre son père qui l'abrutit, sa soeur et elle, de questions et les empêche de dormir et sa mère qui se retrouve internée à trente ans, le fardeau est insupportable pour les frêles épaules de Laure. Elle met des mois à mieux cerner sa maladie et surtout à reconquérir un poids acceptable : 50 kilos et un retour à la vie hors de l'hôpital. Une année de lutte qui laisse une cicatrice indélébile et qui marque le lecteur de ce livre bouleversant.
Jours sans faim, Delphine de Vigan, J'ai lu, 2009

mercredi 16 mai 2012

Moebius est mort, vive Moebius !


John Difool est un détective à la petite semaine qui claque son argent dans une bouteille de ouiski et quelques instants de délassement entre les bras d'une oméopute. Il récupère par hasard d'un Berg, une race extraterrestre quasi inconnue, une boîte étrange objet de nombreuses convoitises. Difool, l'anti-héros par excellence, se retrouve à devoir sauver rien moins que l'univers !
S'il faut s'accrocher au début pour intégrer les termes futuristes et s'adapter à la narration de l'histoire, on est vite captivé par cet enchaînement de rebondissements et de péripéties. Cette histoire incroyable et complètement barrée est servie par des dessins sublimes. On célèbre souvent et à juste titre la qualité architecturale des mondes de François Schuiten mais ceux de Moebius n'ont rien à leur envier.

Tant sur le plan politique que symbolique, l'Incal a une portée très large. Des groupes luttent pour la liberté et renversent le dictateur de la planète Difool, le Préz chef-dictateur. La puissance militaire et politique n'est pas la seule à être remise en cause. Jodorowsky pose la question de la foi dans le progrès et les dangers d'un pouvoir détenu par les scientifiques que sont la caste des technopères. Toute forme de pouvoir qu'il soit détenu par un groupe ou un individu peut nuire à la liberté de chacun.

Du point de vue symbolique, Jodorowsky imagine un univers gouverné par l'impéroratriz, chef androgyne de la galaxie, figurant l'équilibre entre l'homme et la femme, le ying et le yang. L'Incal, lui-même, est une entité propre à chaque civilisation et réapparaît lorsque le moment est venu. Il introduit l'idée d'un cycle d'évènements et de leur éternel retour...
L'Incal, c'est à la fois un space opéra burlesque combiné à une vision métaphysique et critique de l'homme et de la société moderne. Je suis resté scotchée par ce chef-d'oeuvre de la bande dessinée.
L'Incal, l'intégrale, Alexandro Jodorovsky & Moebius, Humanoïdes associés, 2009


dimanche 6 mai 2012

Un candide en Terre Sainte

Guy Delisle accompagne sa femme, qui est coordinatrice pour Médecins sans frontières, à Jérusalem. Comme dans ses Chroniques birmanes, il s'occupe du quotidien et des enfants. Il profite de ses instants de liberté pour visiter, croquer ce qu'il voit de la vie quotidienne et découvrir cet étrange microcosme. Rien n'est simple dans cette ville, le moindre déplacement ou la moindre visite peut se transformer en parcours du combattant pour celui qui n'en connaît pas les us et coutumes.
Le mur
La ville de Jérusalem se divise en de nombreux quartiers tels que celui des Arméniens, Mea Shearin qui rassemble les juifs ultra-orthoxes, ou celui des Arabes. Les cultures et les communautés sont nombreuses mais il n'y a pas de brassage. Des frontières bien visibles existent quelles soient construites ou intériorisées. Tous ces murs, ces barbelés à perte de vue sont oppressants pour le lecteur.


Dôme du Rocher 
Delisle montre bien l'absurdité de certaines situations qui empêchent les musulmans de se rendre à la prière dans les temps parce que les contrôles sont trop longs aux checkpoints. Chaque quartier est hermétique aux autres de sorte que les bus juifs et arabes ne servent que leur propre quartier.


Se posant comme un candide, Delisle instaure une distance avec ce qu'il voit et introduit une bonne dose d'humour pour décrire la situation chaotique de la ville. Il accumule toute sorte de petits faits du quotidien pour montrer toutes les difficultés d'une zone politique et religieuse en permanence au bord du gouffre. Jérusalem est au fond un monde étriqué où trop de religions coexistent pour bien peu de mètres carrés.
Chroniques de Jérusalem, Guy Delisle, Delcourt, 2011

mardi 1 mai 2012

Savoir préserver l'essentiel

Jocelyne, dite Jo, est mercière à Arras. Elle aime son travail, anime un blog de loisirs créatifs qui marche plutôt bien et s'accorde quelques sorties avec ses amies, les jumelles. Ses enfants se sont envolés du nid, son mari travaille à l'usine et leur couple tient toujours malgré les coups durs.
Un jour, Jo se laisse entraîner par ses copines et joue à l'Euro Millions. Stupeur, elle gagne et se retrouve à la tête d'une véritable petite fortune ! Ce chèque, cependant, elle ne le touche pas et le dissimule au fond d'un placard dans une chaussure. Avec une telle somme d'argent, tout paraît possible. Jo repense à sa vie, ses rêves de devenir styliste, aux épreuves passées. Elle prend conscience qu'un rien pourrait tout faire basculer, que son quotidien a aussi son cortège de petits bonheurs que l'argent pourrait détruire...
J'ai été charmée par la délicatesse et la justesse de ton de ce livre. La narration tient sur un fil et ne verse pas dans le pathos. Jo évoque avec simplicité sa vie, ses rêves perdus, ses douleurs, son couple et surtout elle nous rappelle qu'il faut savoir préserver ces petits bonheurs du quotidien auxquels on ne prête pas assez attention ou dont on prend conscience lorsqu'on les perd.
La liste de mes envies, Grégoire Delacourt, J.C. Lattès, 2012