mercredi 16 novembre 2011

Une ballade irlandaise

Antoine, luthier parisien, prend un jour le train pour le Nord de Belfast et se retrouve au beau milieu des ghettos irlandais en 1974. Perdu, il est accueilli par Jim O'Leary et sa femme avec qui il se lie d'amitié. Lors d'un nouveau séjour, il fait la connaissance de Tyrone Meehan, une des grandes figures de l'IRA, qui devient pour lui, un ami, un père mais aussi, ce qu'il apprendra bien plus tard, un traître. Antoine s'éprend de ce pays et des gens qui l'habitent. Son amour est sans condition au point que très vite il veut participer à la lutte pour l'indépendance.


Après la mort de son père, un partisan républicain, Tyrone Meehan quitte Killybegs avec sa mère et sa fratrie pour s'installer à Belfast. Là-bas, deux communautés s'affrontent et campent sur leurs positions sur ce petit territoire. Tyrone, qui est aussi catholique, prend position et s'engage très jeune dans les jeunesses de l'IRA avant d'en devenir un membre important. Héros pour sa communauté, Meehan finit par la trahir pris au piège par les Anglais. 


Le conflit nord-irlandais débute dans les années 60 avec le mouvement des droits civiques qui lutte contre les discriminations dont font l'objet les catholiques. A ceci se greffent également des questions politiques puisque les Républicains (pour la plupart catholiques) réclament l'indépendance face aux Unionistes (pour la plupart protestants) qui souhaitent le maintien des liens avec le Royaume-Uni. Sorj Chalandon, qui a couvert en tant que journaliste ce conflit, explique clairement les enjeux de ce conflit ainsi que sa complexité et ses paroxysmes. La grève de la faim de 1981 en est un puisqu'elle s'est soldée par la mort de dix hommes dont Bobby Sands, député de la chambre des Communes sans que Margaret Thatcher ne cède.
Il est clair que Sorj Chalandon a pris fait et cause pour les Républicains et qu'Antoine est son double de papier. Il a su trouver pour décrire son engouement pour ce pays, cette culture et ces hommes des images et des associations de mots d'une belle inventivité. Mon traître est l'expression de sa douleur personnelle et d'une amitié trahie car si un homme trahit ses propres valeurs alors le doute est sans limite quant à ce qui a pu compter pour lui.  Retour à Killybegs est plus posé et de ce fait d'une facture beaucoup plus classique. Dans ce livre, Chalandon propose une explication plausible de la trahison de son ami Tyrone Meehan de son vrai nom Denis Donaldson assassiné en 2006 après avoir été donné par le gouvernement britannique suite aux accords sur le désarmement de l’IRA.
J'ai adoré Mon traître parce que j'étais là parmi eux dans le pub à boire une guiness. J'ai été touchée par cette déclaration d'amour à l'Irlande et à cet ami disparu. Retour à Killybegs m'a moins émue mais m'a beaucoup intéressée car il pose la question du choix et de ses conséquences. Qu'est-ce qui conduit un gamin de Belfast à entrer dans les rangs de l'IRA ? Qu'est-ce qui l'amène à trahir tout ce en quoi il a toujours cru ? Comment a-t-il pu porter ce fardeau au su et vu de tous ?
Mon traître, Sorj Chalandon, LGF, 2010 / Retour à Killybegs, Sorj Chalandon, Grasset, 2011

vendredi 4 novembre 2011

Stoner

William Stoner naît dans une petite ferme du Missouri en 1891. Ces parents décident de l'envoyer étudier l'agronomie à l'université mais c'est la littérature qu'il va lui être révélée lors d'un cours d'introduction à celle-ci. Interpellé par le professeur qui lui demande de commenter le Sonnet 73 de Shakespeare, Stoner découvre la littérature. Sa vie suivra à bien des égards les grands thèmes de ce poème, l'amour et la passion qui consume ainsi que la perte et le temps qui s'enfuit inéluctablement.
Cependant cette passion pour la littérature bien peu de gens la connaîtront. Trop pudique, trop humble, Stoner ne la laissera s'exprimer qu'auprès de ses étudiants. Stoïque, il accepte résigné les revers de la vie : un mariage malheureux, les vexations du responsable du département de littérature, la perte de son unique amour. Le destin de William Stoner semble d'ailleurs scellé dès le début de ce roman d'apprentissage d'une grande sobriété. Il meurt ignoré de tous, ne laissant qu'une infime trace de son passage. Sa vie ne marqua pas les mémoires mais il l'a vécue en restant fidèle à lui-même tel un Don Quichotte du Middle West. Sombre me direz-vous mais quel livre magnifique !
Stoner, John Williams, Le Dilettante, 2011