jeudi 26 avril 2012

Orange pressée

Carole Mathieu est le médecin du travail d'une plateforme d'appels de Valence. Tous les jours, elle voit défiler des hommes et des femmes sur le point de craquer. Pertes de poids ou de cheveux, troubles du sommeil ou gastriques, tous sont écrasés par une pression managériale inhumaine. Ils ne sont que des pantins que l'on place ou déplace selon les besoins de l'entreprise. Devant son impuissance à les aider, Carole finit elle aussi par franchir la ligne rouge. Elle ne plus soigner Vincent son patient, alors elle décide de le tuer, pour abréger ses souffrances...
Marin Ledun montre les dérives du management dans le tertiaire. Rentabilité, flicage, la moindre minute doit être dévolue à l'entreprise. Dans ce modèle, il y a bien plus de sanctions que de valorisation de la personne. Tout est fait pour nier et déshumaniser l'individu. Les employés comme les managers sont stressés et en grande souffrance psychologique et morale. La solidarité entre collègues s'efface pour laisser place à un individualisme toujours plus grand qui accentue encore la solitude de chacun.
Autre constat terrifiant, c'est que la médecine du travail n'est pas armée pour lutter contre ces entreprises. Le docteur Mathieu importune la hiérarchie et la direction mais elle n'a pour armes que des recommandations et des arrêts maladie. Elle perd les pédales lorsqu'elle se rend compte qu'elle est impuissante du point de vue professionnel, humain, médical et juridique. Carole Mathieu est aussi malade que ses patients et sombre dans l'enfer ne tenant que grâce aux médicaments et à sa rage.
Ce roman d'une noirceur absolue, mené tambour battant et de manière implacable, s'est révélé une grosse claque dans la figure. J'ai appris beaucoup de choses au passage sur la médecine du travail et ses mécanismes. Quant aux pratiques managériales de certaines entreprises, elles font froid dans le dos.
Les visages écrasés, Marin Ledun, Seuil, 2011