vendredi 30 septembre 2011

Famille, je vous aime

Anna la matriarche de la famille Neshov est mourante. Tor, qui la vénère, est resté à la ferme tandis que ses deux autres frères sont partis. Margido dirige une entreprise de pompes funèbres tandis qu'Erlend s'est exilé au Danemark où il est décorateur de vitrines. Devant l'urgence de la situation, Tor décide d'appeler également Torunn, sa fille naturelle, afin qu'elle rencontre au moins une fois sa grand-mère. De ces retrouvailles forcées vont ressurgir de sombres histoires passées.


L'excellent Terre des mensonges a été à juste titre primé en Norvège. Très bien construit, il alterne la vie des trois frères et donne à voir le point de vue de chacun sur leur famille et leurs réticences vis à vis d'elle. Le tout est habilement mené jusqu'à la révélation finale. En ce qui concerne les deux autres tomes, je suis plus réservée. J'ai retrouvé avec plaisir tous les personnages que j'avais trouvé bien campés, chacun dans son genre mais tant du point de vue narratif que de l'intrigue, c'est nettement moins bon voire même décevant pour le dernier tome.

Je n'ai rien contre le réalisme des situations ni une certaine noirceur, mais je trouve la fin excessive et glaçante. La mort, la douleur sont omniprésents dans cette trilogie et les quelques moments de bonheur sont de bien maigres contrepoints. J'ai refermé le dernier volume avec un sentiment de malaise qui a balayé tout ce qui m'avait plu dans cette saga familiale.
La terre des mensonges ; La ferme des Neshov ; L'héritage impossible, Anne B. Ragde, Baland 2009-2010

jeudi 22 septembre 2011

Quand l'artifice se conjugue au superficiel

Lorsque son grand-père décède, le narrateur regrette de ne pas avoir partagé plus de moments avec lui. Il découvre avec horreur la réalité des maisons de retraite puisque son père et ses oncles placent sa grand-mère, faute de pouvoir mieux s'en occuper. Il décide alors de passer du temps avec elle et de lui changer les idées mais lorsque cette dernière apprend que ses fils ont vendu son appartement, elle organise sa disparition.
Il paraît que David Foenkinos est drôle et sait être touchant. Son charme ne doit pas opérer sur moi. A chaque fois qu'une situation ou un élément pouvait être source d'émotion, tout retombait assez rapidement à plat. Dans ce livre, il a d'ailleurs voulu aborder beaucoup trop de thèmes sans jamais vraiment bien les traiter : la vieillesse, les souvenirs et la mémoire, le couple, la naissance de la vocation d'un écrivain. Ses réflexions sont parfois intéressantes mais il ne prend jamais la peine de les creuser et reste à la surface de son sujet. Quant à la construction du livre, elle est totalement artificielle puisqu'il fait alterner le corps central de son histoire avec des souvenirs (souvent inventés) de personnages célèbres ou d'illustres inconnus sans que cela apporte à son récit. J'ai souvent eu le sentiment qu'ils arrivaient comme un cheveu sur la soupe. Cerise sur le gâteau, le narrateur, qui, après tous ces évènements, devient un écrivain ! Nous voguons dans les conventions littéraires.. Non, Monsieur Foenkinos, vous ne me convainquez pas du tout.
 Les souvenirs, David Foenkinos, Gallimard, 2011

mardi 13 septembre 2011

On the road again

Tout bascule un sombre jour pour Roy Caddy. Il apprend qu'il est atteint d'un cancer et son patron, un caïd de la Nouvelle-Orléans, l'envoie sur un sale coup pour le faire disparaître. Roy ne veut pas mourir et dans sa fuite, il entraîne la jeune prostituée Rocky qu'il a sauvée du massacre. Vite rejoints par la petite soeur de cette dernière, ils partent pour Galveston, une ville balnéaire auréolée de vieux souvenirs de Roy.
Le récit est habilement construit alternant la cavale et la vie de Roy vingt ans plus tard. C'est de cette tension permanente entre ce que nous ne savons pas encore du passé mais dont nous voyons certains effets dans le présent que naît toute la dynamique de ce livre qui se lit d'un trait. Tous les ingrédients du noir sont présents, presque un peu trop à mon goût car Pizzolatto n'évite pas l'écueil de certains clichés. Néanmoins, j'ai eu plaisir à suivre l'histoire d'un homme qui décide de rompre le cercle de la violence dans lequel il a toujours vécu pour sauver deux êtres.
Galveston, Nic Pizzolatto, Belfond, 2011

dimanche 4 septembre 2011

Un murmure au creux de l'oreille

1187, Esclarmonde brave son père et l'ordre établi en refusant d'épouser celui à qui elle a été promise, mais pour échapper à son destin, elle ne dispose que d'une arme : embrasser la religion. Elle ne le fait pas de n'importe quelle manière, puisque en ces temps religieux, elle décide de devenir une recluse. Son père, contraint de céder, lui fait édifier une chapelle dans laquelle elle se trouve emmurée vivante. Esclarmonde n'a plus qu'une étroite fenêtre avec des barreaux comme seule ouverture sur le monde. Pourtant c'est auprès d'elle que bientôt se pressent des pèlerins venant de tout le royaume afin qu'elle prie pour eux. 
Pour être libre, Esclarmonde choisit la réclusion, car pour décider de la conduite de sa vie, une femme ne peut être que religieuse, veuve ou sortant de l'ordinaire. Ces belles figures féminines qui imprègnent le récit ont pour contrepoint des hommes enclin à la violence que seul un nouvel idéal chevaleresque pourrait détourner de cette voie. Ainsi, le père d'Esclarmonde se fait croisé tandis que l'ancien promis de la jeune fille devient le chantre de l'amour courtois. Réalisme et merveilleux se conjuguent et se mêlent dans ce beau récit et nous valent quelques passages d'une grande poésie comme cette croisade qu'Esclarmonde voit en rêve. Le roman verse sans cesse de l'un à l'autre mais lorsque le rempart de la foi et des superstitions s'effrite, la cruauté du monde réel reprend le dessus.
Du domaine des murmures, Carole Martinez, Gallimard, 2011