jeudi 29 août 2013

Des destins chaotiques

Montréal 1996. Grace, psychologue, rencontre Tug dans des circonstances étranges. Alors qu'elle skie, elle tombe sur ce qu'elle pense être une branche et s'avère être Tug qui vient de tenter de se suicider. Attirée par ce bel homme brisé, elle ne tient pas compte de toutes les mises en garde qu'elle distille pourtant à ses patients.
New York 2002. Annie, une ancienne patiente de Grace, est comédienne. Très mal dans sa peau, elle se tailladait le ventre. Lorsque, adolescente, elle tombe enceinte et décide d'avorter, seule Grace est dans la confidence. Quelques années plus tard, elle se retrouve face à Hillary, une adolescente, fugueuse et enceinte.
Montréal 2006. Mitch, ex mari de Grace et lui-même psychologue, a refait sa vie avec Martine et son fils Mathieu, atteint du syndrome d'Asperger. Cette relation est dans l'impasse et il subit un grave échec professionnel avec le suicide de Reeves Thomasie, un jeune inuit qui a perdu sa mère et sa soeur. L'âme en morceaux, il découvre par hasard que Grace a eu un accident de voiture et qu'elle a une petite fille qui s'appelle Sarah.
Le lecteur suit ces trois histoires, à trois époques différentes, avec ces trois personnages qui sont unis par ce même mal être et cette incapacité à retrouver le désir de vivre. Patients ou psychologues, ils ne sont pas épargnés par la vie. Leurs choix, leurs échecs pèsent lourdement dans la balance. Ce roman est assez dur mais assez réussi. 
Inside, Alix Ohlin, Gallimard, 2013


Prix Page America 2013

vendredi 23 août 2013

Petit prince des banlieues

Momo vit avec sa famille à la cité des Bleuets. La directrice de l'école primaire passe voir ses parents pour leur dire qu'il est promis à un bel avenir s'il continue ainsi. Elle lui donne un liste de livres à lire avant d'entrer en 6e. Momo n'avait jamais mis les pieds à la bibliothèque. Peu à peu, il s'y habitue et devient ami avec Souad, la responsable du bibliobus. Sur le banc où il passe ses journées à lire, il rencontre M. Edouard, un vieil instituteur à la retraite. Une grande amitié naît entre eux mais M. Edouard est atteint de la maladie D'Alzheimer et il oublie quelque fois de retrouver le petit prince des Bleuets. Momo, pour la première fois, peut partager ses lectures et ses rêves avec celui qui est devenu son Chambellan. Le livre est construit autour du Petit prince de Saint-Exupéry et de la Vie devant soi de Romain Gary dont les histoires recoupent celle du petit garçon.
Le second tome est beaucoup plus orienté sur la vie de la cité et les conséquences de la mort du père de Momo. Sa mère et sa soeur aînée sont en butte avec Ahmed, qui veut devenir le chef de la famille sans en avoir l'étoffe. Violent, fainéant,  il s'enferre dans un islam radical sans pour autant pouvoir imposer sa loi. C'est en effet une nouvelle voie qui s'ouvre dans les cités après les trafics en tout genre comme le constate Mme Ginette, l'âme de la cité. Aux lendemains de la guerre, la crise des logements faisant rage, ces logements avec tout le confort moderne avaient semblé un Eldorado pour les parents mais la génération qui y est née et qui n'a pu en partir s'est retrouvée dans un gettho de pauvres dont elle ne peut sortir.
J'ai beaucoup aimé le premier tome qui est d'une grande poésie et d'une grande tendresse. Le personnage du petit Momo est très attachant et son attachement au vieux M. Edouard est indéfectible. Le second tome est davantage ancré dans le quotidien et les problèmes auxquels font face la petite communauté des Bleuets. Je trouve que l'on perd un peu de la magie des débuts mais il reste de bonne facture.
Momo, petit prince des Bleuets, Yaël Hassan, Syros, 2006
Momo des Coquelicots, Yaël Hassan, Syros, 2010

dimanche 18 août 2013

Les heures sombres de l'Apartheid

Sam Leroux revient en Afrique du Sud, son pays natal, pour faire l'autobiographie de Clare Wald, un écrivain célèbre, qui a su se faire publier et échapper à la censure tout en critiquant le régime de l'Apartheid. Pourtant Sam et Clare semblent se connaître et attendent des réponses l'un de l'autre. Un véritable bras-de-fer s'engage entre eux entre les faux semblants et les non-dits. Que savent-ils de ce passé qui pèse si lourdement sur leur pays ?
La construction de ce roman est assez déroutante de prime abord. Elle oblige le lecteur à démêler l'écheveau des aux travers des différents chapitres : ceux où Sam parle de lui ; ceux où Clare parle d'elle-même et reconstitue les derniers jours précédant la disparition de sa fille Laura ; ceux appelés Absolution, du nom du prochain roman très autobiographique de Clare ; enfin ceux qui ont des repères chronologiques et nous donnent des éléments factuels sur l'histoire de Sam.
Clare Wald est en quête d'absolution pour ce qu'elle a fait. Elle s'estime responsable de la mort de sa soeur Nora et de son mari, un membre important du parti soutenant l'Apartheid. Fut-elle à l'origine de leur assassinat ou celui-ci était-il déjà prémédité ? Elle ne le saura jamais. Laura, sa fille, est l'autre fantôme qui la hante puisqu'elle s'est engagée dans la lutte armée contre l'Apartheid et qu'elle n'en est jamais revenue. Clare s'en veut d'avoir été une mauvaise mère et surtout de ne pas savoir ce qu'il est advenu de sa fille.
Je n'effleure que certains aspects de cette histoire terrifiante qui connaît de nombreux rebondissements dont Sam détient les clefs. Patrick Flanery nous invite à plonger dans les heures sombres de l'Afrique du Sud. Entre la censure et la lutte armée, il dresse un panorama terrible du pays avant la démocratie mais aussi après. Sam et Clare vivent dans des getthos de riches blancs qui sont des cibles privilégiés  puisqu'ils détiennent encore la majeure partie des richesses. La population noire occupe encore des emplois subalternes et  même si une nouvelle classe moyenne émerge, beaucoup reste en marge, ce qui explique les nombreuses manifestations qui ont eu lieu ces dernières années et les flambées de violence.
J'ai trouvé ce livre intéressant avec cette construction qui multiplie les points de vue et interroge les questions de vérité, de censure et de fiction en littérature. Il y a cependant quelques longueurs et la seconde partie du roman est un peu plus faible compte tenu de l'ambition littéraire du projet. Ce livre ne prend toute sa dimension que si vous lui accorder du temps : le démarrage de l'intrigue est long et le système de chapitres assez déroutant. Sur cinq lectrices dans le cadre du prix Page America, je suis la seule à l'avoir terminé mais je ne l'ai pas regretté !
Absolution, Patrick Flanery, R. Laffont, 2013

 
Prix Page America 2013

mardi 6 août 2013

Un microcosme new yorkais

Tribeca, quartier de New York, avait attiré des artistes, des entrepreneurs cherchant des locaux à louer à bas prix. Ils ont chassé des gens qui travaillaient au noir et ont rénové des immeubles entiers. Ces bobos se sont faits une vie dans ce quartier et se trouvent à leur tour colonisés par la bourgeoisie branchée de la ville.
Presque tous les matins, des pères se retrouvent pour prendre leur petit-déjeuner après avoir déposé leurs enfants à l'école. Ils représentent tous une facette de cette tribu urbaine qui s'est installée dans le quartier. Loosers fantastiques, businessmen accomplis, ils dévoilent leurs aspirations et leurs faiblesses au cours des chapitres du roman. Chaque chapitre parle de l'un d'eux ou d'un membre de sa famille. Peu à peu se tissent des histoires et des liens entre chacun.
C'est une peinture satirique de cette communauté que nous présente l'auteur. Cette micro-société tente de se positionner face aux valeurs de la société américaine : il faut être impitoyable pour survivre et ce dès l'école. La ségrégation se fait par le physique et par l'argent. Les ascensions comme les chutes sont spectaculaires. Ces fortunes qui se sont créées autour de l'inflation immobilière s'écroulent après 2008 et le crack boursier. L'amitié entre ces pères se délitent bien vite lorsqu'ils quittent le quartier pour trouver un nouvel Eldorado. 
Critique fine de ce microcosme new yorkais et plus généralement de la société américaine, ce livre décrit un monde très hiérarchisé et étanche où l'ascenseur social est en panne. J'ai beaucoup aimé ce livre féroce qui nous montre les accros faits au rêve américain.
Triburbia, Karl Taro Greenfeld, Philippe Rey, 2013

 Prix Page America 2013

Le livre pour lequel j'ai voté !

jeudi 1 août 2013

Un prédateur tapi dans l'ombre



Un soir, Freddy frappe à la porte de Martha Rebernack. On vient de le libérer de prison et il n'a pas d'autre endroit où aller. Martha, sa cousine, refuse de l'accueillir chez elle. Elle le considère toujours comme un prédateur dangereux. N'a-t-il pas purgé 15 ans de prison pour le viol de la petite Sonia ? Martha craint pour sa fille Clémence et fait tout pour l'éloigner de lui sans y parvenir. Freddy, quant à lui, n'aspire qu'à une vie tranquille et se tient à carreau. 
L'angoisse de Martha nous étreint et ne cesse de monter peu à peu grâce au beau travail narratif de l'auteur. Martha, folle d'inquiétude, s'ouvre au notaire, Maître Montussaint, un ami de son mari, qui s'avère être également un habile menteur.
Ce roman, plutôt réussi du point de vue de l'écriture, s'effrite assez vite. Nous n'avons pas besoin du titre pour nous douter que le personnage du notaire est tout sauf clair. Même s'il n'apparaît que vers le milieu de l'histoire, l'effet d'attente ne rachète pas une intrigue somme toute assez convenue. Avec de telles qualités d'écriture, j'aurais aimé quelque chose de plus consistant.
Un notaire peu ordinaire, Yves Ravey, Ed. de Minuit, 2013