mardi 27 mars 2012

La chasse au papillon

Pour soigner sa mélancolie, le jeune poète Masaki part en voyage dans le sud de Kyôto. Durant sa marche, il est captivé par un magnifique papillon bleu qui l'entraine au loin. Mordu par un serpent venimeux, il est recueilli par un moine bouddhiste qui a construit son ermitage au coeur des montagnes. Dans ce lieu à l'atmosphère si particulière, Masaki rêve toutes les nuits d'une belle jeune femme faisant sa toilette au clair de lune. Il perd la notion du temps et finit par se voir en plusieurs lieux si bien que la frontière entre le rêve et la réalité finit par se brouiller.
Le papillon bleu invite le poète comme le lecteur à pénétrer dans l'univers de ce récit mystérieux et poétique. Ce livre est d'autant plus habile qu'il fait se rencontrer la figure du poète romantique avec le conte fantastique japonais. Ainsi Masaki est hanté par l'idée de la mort et de l'amour qu'il voue à cette étrange jeune femme portant le poids d'une sombre malédiction. En quête d'absolu, il pressent que cet amour pourrait lui permettre d'atteindre cet instant sublime et pur auquel il aspire. 
Ce beau livre a ravivé mes souvenirs de Kwaidan de Kobayashi ou des Contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi. On y retrouve cette ambiance avec une petite touche de romantisme en plus. Au final, un récit que j'ai trouvé inspiré et poétique, mêlant habilement traditions occidentales et orientales. Voici un jeune écrivain que j'aurais plaisir à suivre.
Conte de la première lune, Hirano Keiichirô, P. Picquier, 2007

vendredi 16 mars 2012

Le démon qui sommeille en moi

Confession d'un masque relate l'enfance et l'adolescence du narrateur qui découvre peu à peu son attirance pour les hommes ainsi que la nécessité de se dissimuler derrière le masque des conventions. Il décortique toute son enfance et son adolescence, fait le récit de ses premières amours pour des garçons, de ses premiers émois sexuels. Refoulant son homosexualité, il tente par tous les moyens de rentrer dans un cadre conforme aux attentes de la société. Pour faire comme les autres, il fait la cour à Sonoko, la soeur d'un de ses amis. Il finit par masquer ses sentiments et s'aveugle volontairement.

Cette confession m'a mise très mal à l'aise car, malgré sa souffrance d'être différent, je trouve ce personnage malsain et morbide. Son goût pour le sang, ses tendances sadiques et sa complaisance à analyser le moindre sentiment, la moindre sensation, ont eu raison de moi. Malgré l'intérêt évident de sa réflexion sur les masques sociaux et l'image que nous construisons pour les autres, je ne suis jamais rentrée dans ce livre. De ce texte à caractère autobiographique, je retiens le passage de la première masturbation du jeune homme sur une reproduction du Saint Sébastien de Guido Reni. Cette figure a fasciné Mishima au point de se faire photographier sous cette apparence par Hosoe Heikoh un an avant de se suicider. Je trouve que cette photo résume assez bien l'image que je me fais de ce livre.
Je n'ai pas aimé ce roman ce qui ne veut pas dire que je ne trouve pas l'écrivain intéressant. J'avais adoré Neige de Printemps que j'ai lu voici quelques années déjà et je pense refaire une incursion dans son univers dans un avenir proche.
Confession d'un masque, Mishima Yukio, Folio, 2009

dimanche 11 mars 2012

L'heure des choix

Pendant que sa femme accouche, Bird s'accroche encore à son rêve de partir découvrir l'Afrique. Ses espoirs volent définitivement en éclats lorsqu'il apprend qu'il est le père d'un petit garçon anormal. Bird est déchiré par des sentiments contradictoires comme celui, obscur, de laisser son fils mourir faute de soins. Incapable de gérer cette situation, il fuit le monde pendant trois jours dans l'alcool et les bras d'une ancienne amie de fac.
Ce livre bouleversant et déchirant met à nu le protagoniste principal. Durant cette brève période, il effectue un travail sur lui-même qui le conduit à se questionner sur la paternité, à laquelle il n'était pas préparé, et à son corollaire, sa responsabilité en tant que père. Pour la première fois, il ne peut plus agir en fonction de lui seul ni choisir la fuite en avant. Bird est à un tournant de sa vie  et ses actes détermineront la voie qu'il empruntera. 
Voici un livre qui me marquera. Je l'ai trouvé extraordinaire de part les questions qu'il pose. Il est d'ailleurs en grande partie autobiographique puisque Ôe Kenzaburo est le père d'un enfant handicapé. La naissance de son fils Hikari fut très importante pour lui car elle "modifia son univers avec autant de violence qu'une explosion solaire". Je me suis mis dans ma liste des lectures Une famille en voie de guérison qui est la chronique de l'éveil et de l'épanouissement de la personnalité d'Hikari.
Une affaire personnelle, Ôe Kenzaburo, Stock, 2008

samedi 10 mars 2012

Recherche époux désespérement

Les soeurs Makioka sont les dernières représentantes d'une vieille famille de commerçants d'Osaka. Du temps de leur père, elles ont connu une vie aisée mais sa disparition et les changements que rencontre le Japon à la veille de la Seconde Guerre mondiale ont rendu leur situation précaire. Si les deux soeurs aînées sont mariées, il s'agit à présent de trouver un mari convenable à Yukiko afin que Takeo, la petite dernière, puisse à son tour se marier.
Ce roman fleuve, dont l'histoire se déroule de 1937 à 1941, est une longue chronique familiale faite de petits événements du quotidien. Les saisons s'écoulent au rythme de traditions japonaises comme la contemplation des cerisiers au printemps, la chasse aux lucioles l'été ou les soirées au théâtre pour voir du kabuki. Le mariage est lui aussi soumis à ces traditions. Il faut respecter les hiérarchies au sein de la famille, faire appel à des entremetteurs, mener une enquête sur le prétendant qui doit répondre à des exigences tant financières que morales. Une fois mariée, la jeune épousée ne doit plus dépendre de sa famille mais de celle de son époux, ce qui explique le luxe de précautions que prennent les Makioka. Leurs exigences sont telles qu'il devient de plus en plus difficile de marier Yukiko.
La modernité, introduite par les Occidentaux, n'est pas pour autant exempte de la vie des Makioka. Les soeurs pratiquent un peu l'anglais, portent pour certaines volontiers des vêtements étrangers et apprécient la cuisine occidentale. Elles ont pour voisin une famille allemande et font même la rencontre d'une famille de russes blancs haute en couleur. Leurs comportements sont pour elles source d'étonnement ! Je pense en particulier à la stupeur des Makioka devant l'abondance de nourriture et d'alcool que leur propose la famille Kyrilenko lors d'une soirée.
La guerre n'apparaît qu'en toile de fond dans le roman ; elle modifie le cours de la vie quotidienne mais ses effets sont comme gommés. Ne pas soutenir l'effort de guerre explique en partie l'interdiction de publication de Quatre soeurs par le gouvernement en 1943 mais ce qui est bien plus dérangeant pour l'époque c'est le choix de Tanizaki de développer la notion d'individualisme. Taeko, la cadette, est une jeune femme moderne qui gagne sa vie en pratiquant la couture et la confection de poupées. Elle choisit ses amants et mène une vie scandaleuse. Sa soeur Yukiko, qui, a première vue, semble effacée, sait aussi parfaitement ce qu'elle veut. Ce n'est pas par hasard qu'elle refuse les propositions qui ne lui agréent pas ou qu'elle s'enferme dans un mutisme désolant lors des rencontres avec les prétendants...
Voici tout l'art de Tanizaki qui se passionne pour les ressorts de l'âme humaine. Il ne porte aucun jugement et choisit un narrateur extérieur au récit qui se contente de décrire les événements. Au lecteur de déduire par les actes et les paroles des personnages ce qui les motivent. Je pense qu'après une pareille critique, tout le monde l'aura compris, je suis sous le charme de ce livre que j'ai trouvé extraordinaire.
Quatre soeurs, Tanizaki Tanizaki, Folio, 2009

jeudi 8 mars 2012

Percutant !

2009. Georges Crozat, alias le Mur, est boxeur amateur le soir et policier municipal le jour. Pour améliorer l'ordinaire et se payer des prostituées, il accepte de passer à tabac des inconnus pour de l'argent. 
1957. Pascal Verini, dit le Marin, est contraint de partir en Algérie sous les drapeaux. Sous le coup d'une sanction disciplinaire, il est envoyé dans un lieu appelé la Ferme où des hommes sont amenés pour y être interrogés...
Deux destins à deux époques différentes qui finissent par se réunir autour d'un troisième protagoniste le Kabyle. Habilement construit, ce roman noir aborde le thème de la violence et de la douleur physique. En tant que boxeur, Crozat l'accepte pour la pratique de son sport mais il finit par abandonner le noble art pour n'être qu'un simple exécuteur des basses oeuvres. Le Mur ne se pose pas trop de questions jusqu'au jour où on lui demande de tabasser un vieil Kabyle qu'il ne peut se résoudre à toucher. 
Cette souffrance qu'il inflige à ses victimes, c'est également celle que subissent les hommes torturés dans la cave de la Ferme en Algérie. La torture n'est jamais décrite, elle est toujours évoquée pesant comme une chape de plomb sur les occupants de ce lieu. Verini tente de ne pas sombrer dans la folie entre les cris des prisonniers, les vexations des bourreaux parce qu'il refuse avec quelques camarades de participer à la torture.
Reste la question de l'après. Que fait-on de sa vie après avoir vécu ou subi ces événements ? Le Mur se prépare à un dernier combat qui pourrait bien être le dernier ; le Marin a voyagé toute sa vie pour oublier cette sale guerre, alors que le Kabyle a écrit des livres pour se souvenir, rompre le silence et dénoncer ce qui s'est passé.
Le mur, le Kabyle et le marin, Antonin Varenne, Viviane Hamy, 2010