vendredi 28 septembre 2012

Ici se dresse un homme

Frank Money est revenu de la guerre de Corée et tente de retrouver une vie stable auprès de Lily qu'il a rencontrée dans une blanchisserie. Lily ne peut rien faire devant son manque de volonté et le laisse partir sans regret lorsqu'il reçoit une lettre l'informant que sa soeur est au plus mal. Frank traverse tout les Etats-Unis pour retrouver son foyer enorgie et sauver sa soeur.
La narration alterne passé et présent pour nous brosser une grande fresque familiale et historique. Toni Morrison reprend les thèmes qui lui sont chers dans un récit concis, intense et très poétique. Elle évoque le racisme et la ségrégation, la lutte des noirs pour être reconnu comme des êtres humains à part entière. Son ton est juste, ses images si belles et si fortes qu'elles vous restent en tête.
Home ce sont les blessures de l'enfance auxquelles s'ajoutent celles de la vie. C'est aussi ce besoin profond pour Frank et Cee de retrouver leur foyer, se reconstruire et retrouver leur dignité d'homme.
Home, Toni Morrison, C. Bourgois, 2012

lundi 24 septembre 2012

Les fantômes de la guerre de Sécession

Caroline du Nord. Travis Shelton, 17 ans, a laissé tomber l'école et travaille avec son père dans l'exploitation de tabac. s qu'il a un peu de temps, il part pêcher la truite. Lors d'une de ces expéditions, il découvre un champ de cannabis dissimulé dans les terres. Travis vole quelques plans mais son larcin ne passe pas inaperçu et le père Toomey lui en fait cruellement payer le prix.
Cet incident est comme un électrochoc pour Travis. Il quitte la ferme et se réfugie chez Léonard, un ancien professeur devenu dealer. Léonard, en quête de rédemption, le prend sous son aile et l'aide à reprendre ses études. Tous deux vont s'entraider et se passionner pour une ancienne tragédie locale : le massacre de Laurel Shelton, pendant la guerre de Sécession, où les ancêtres de Travis furent tués par les Confédérés.
Ron Rash nous offre des descriptions splendides des Appalaches. La beauté et la sauvagerie de la nature a pour contrepoint celle des hommes. Pendant la guerre de Sécession, comme aujourd'hui, ils  sont durs et violents. Ce roman initiatique, noir et sans complaisance, dresse un tableau saisissant des oubliés du rêve américain. Dans cette ambiance de plomb brille une petite lueur d'espoir : la volonté d'exister envers et contre tout.
Le monde à l'endroit, Ron Rash, Seuil, 2012



jeudi 20 septembre 2012

Fuite éperdue

A sept ans, Lilia est enlevée par son père dans d'étranges circonstances. Pendant dix ans, ils ne vont cesser de parcourir les Etats-Unis changeant de nom, d'apparence afin d'échapper à la police et au détective privé que la mère de la petite fille a lancé à leur trousse.
Quelques années plus tard, à New York, Eli accueille Lilia chez lui. Tous deux partagent une passion commune pour les langues et tout ce qu'elles peuvent véhiculer comme sentiments et pensées. Un jour, Lilia part. Elle avait prévenu Eli qu'elle ne s'installait jamais longtemps dans un même lieu. Le jeune homme tente de la retrouver à Montréal où il sait qu'elle se trouve grâce à Michaëla qui semble détenir la clef du passé de Lilia.
Ce roman noir à l'atmosphère évanescente est d'une rare profondeur. Les failles et les motivations de chaque personnage y sont décrites avec une grande finesse psychologique. Le passé fragmenté de Lilia réunit autour d'elle les différents protagonistes que sa folie douce fascine. Son goût des listes et des mots, son besoin éperdu de fuir sans jamais se retourner. Chaque narrateur nous raconte Lilia, son influence sur sa vie, et nous permet de renouer les fils de son histoire.
Dernière nuit à Montréal, Emily St. John Mandel, Rivages, 2012

dimanche 16 septembre 2012

Mon âme, où es-tu ?

Un jour de mars, Blaise est hospitalisé en urgence. Le diagnostic tombe et il est grave : une cellulite cervicale qui nécessite de le plonger dans un coma artificiel pour le soigner. Le monde s'effondre autour de Cécile, elle doit faire face à la maladie, la douleur et l'attente. Loin de s'apitoyer sur son sort, elle prend ce temps qui lui est imposé pour méditer sur ce qu'est l'âme, la mort sans jamais céder à des sentiments destructeurs. Plongé dans ce sommeil, Blaise est hors du temps, entre la vie et la mort. Les yeux clos sur son lit, il lutte à sa manière les poings serrés.
Comme son mari, Cécile s'accroche à la vie, dit et écrit sa douleur avec beauté et profondeur. Elle se révolte contre la fatalité, raconte sa relation passionnée avec son mari. La vie sans lui est inenvisageable. De cette expérience de réanimation - médicale et spirituelle - la vie rejaillit de nouveau. Blaise est guérit et Cécile est à ses côtés.
Réanimation, Cécile Guilbert, Grasset, 2012

lundi 10 septembre 2012

Le bruit des choses qui tombent

Antonio Yamara se souvient de Ricardo Laverde, un homme taciturne, qu'il retrouvait dans une salle de billard. Un soir, alors qu'ils marchaient tous deux, ils sont attaqués par deux hommes à moto. Laverde décède sur le coup. Antonio, gravement blessé, survit mais reste traumatisé. Afin d'exorciser ses démons, il se met à enquêter sur le passé du vieil homme. Il rencontre Maya, la fille de Laverde, avec laquelle il remonte le cours du temps, dans la Colombie des années 70.
Juan Gabriel Vasquez évoque l'histoire récente de son pays à travers le destin de ses personnages. De l'implantation et du développement du commerce de la drogue, auquel participa Laverde, aux violences et attentats qu'ont connu toute une génération de Colombiens dont l'auteur fait partie. Il restitue le climat de peur dans lequel ils ont vécu et décrit avec justesse l'état psychologique de son personnage principal, Antonio, qui n'arrive pas à dépasser ce qui lui est arrivé. Il est un symbole du hasard et de la folie qui ont baigné Bogota pendant des années. Attentats, assassinats politiques, le pays a sombré dans la violence et le chaos. C'est dans ce climat qu'un homme tel que Pablo Escobar, le chef tout puissant du cartel de Medellin, a pu émerger, lui qui créa un zoo dans son Hacienda Napoles, que les petits Colombiens visitaient à l'insu de leurs parents.
L'histoire se met en place lentement et se dévoile peu à peu. Ce titre, si poétique, prend toute sa signification mais je n'en dit pas plus. Je me suis laissée prendre par ce livre au charme envoûtant.
Le bruit des choses qui tombent, Juan Gabriel Vàsquez, Seuil, 2012

mardi 4 septembre 2012

La Survivance

Un couple de libraires est contraint de mettre la clef sous la porte. Sils et Jenny ne perdent pas seulement leur moyen de subsistance mais aussi leur maison. Ils partent s'installer dans une petite bicoque, La Survivance, qu'ils avaient achetée dans leur jeunesse pour une bouchée de pain. Cette maison délabrée devient une arche de Noé pour ces sexagénaires ainsi que pour leurs animaux et leurs livres.
Nous les suivons au cours de l'année se préparant au mieux à affronter les rigueurs du climat. Chacun traverse cette période de détresse à sa manière. Jenny se passionne pour son potager et les cerfs qu'elle observe et dessine à toute heure de la journée, tandis que Sils lit et part en quête des pierres de la région dont le peintre Grünewald tira ses pigments pour réaliser son fameux retable.
Invention de Claudie Hunzinger, le musée Unterlinden qui abrite le retable d'Issenheim, n'a pas brûlé mais sa disparition coïncide avec la perte de la librairie. Ces deux événements sont comme une faillite de la culture et nos deux libraires choisissent de se rapprocher de la nature. Ils tentent une aventure qui s'était soldée par un échec lorsqu'ils avaient vingt ans, la vieillesse leur serait-elle plus propice ? Cette vie très dure les fait renouer avec leurs valeurs : la liberté de disposer d'eux-mêmes, la liberté que leur donne les livres. Détachés de tout et pourtant s'ancrant de nouveau dans le cycle de l'existence, ils vivent au rythme des saisons.
D'une grande force et d'une grande poésie, ce livre est une vraie merveille. J'ai  retrouvé cette belle écriture qui m'avait tant plu dans Elles vivaient d'espoir, le précédent roman de Claudie Hunzinger, que je vous engage également à lire.
La Survivance, Claudie Hunzinger, Grasset, 2012

dimanche 2 septembre 2012

Marionnettes féeriques

1850, Auguste Pitou, commis chez un épicier, part sur les routes avec Papa Chock et sa nièce pour apprendre un nouveau métier : marionnettiste. Il change de vie pour ces pantins de bois qui, entre les doigts habiles de ces artistes, deviennent des personnages féeriques. Crasmagne, la marionnette emblématique de la troupe, se transmet entre les descendants. Il endosse tous les rôles et prend part aux mises en scène extraordinaires imaginées par Emile, le fils d'Auguste. 
Le Grand Théâtre Pitou a marqué son temps par ses adaptations phénoménales du Tour du monde en 80 jours où marionnettes, musique et machineries se conjuguent pour créer un spectacle total. Cette dynastie d'artistes a sillonné les routes, a traversé les guerres et les crises pour s'incliner devant le progrès et la modernité.
Lucile Bordes est une arrière arrière petite-fille du grand Auguste. Elle n'a découvert que récemment l'histoire de sa famille. Son grand-père s'était tu quand le dernier grand héritage de la famille a été vendu, mettant fin à un siècle d'histoire. Tout est conté avec beaucoup d'émotions et de délicatesse. J'ai appris beaucoup de choses sur l'univers de la marionnette, la création des décors et des machines. J'ai vraiment beaucoup aimé ce joli livre.
Je suis la marquise de Carabas, Lucile Bordes, Liana Levi, 2012