mardi 30 avril 2013

Triangle amoureux


Madeleine se réveille après une soirée passablement arrosée et doit se rendre à la cérémonie de remise des diplômes qui clôt ses années d'études à l'université de Brown, marquées par son amour pour Léonard et sa découverte de Roland Barthes. Si Madeleine est amoureuse de Léonard, Mitchell, lui, est amoureux de cette dernière sans grand espoir de retour. Gentil garçon s'intéressant à la théologie, il ne fait guère le poids face au beau Léonard, si charismatique et si instable...
Madeleine se passionne pour la littérature du XIXe siècle et en particulier pour les romans qui traite du mariage. Les personnages de ces romans sont souvent pris en tenaille entre leurs histoires d'amour et les conventions sociales. Le mariage dans la littérature est la clef de voûte du roman d'Eugenides. Il le développe de manière savante en introduisant des références littéraires toujours bien amenées et qui comparées aux situations de ses propres personnages font sens. Que peut-il bien advenir de Madeleine qui s'éloigne de Mitchell, qui a tout du gendre idéal, et lui préfère Léonard, un jeune homme brillant et dépressif.
J'ai été séduite par le thème du livre mais j'ai été déçue par cette fin d'un classicisme désespérant. J'espérais que le triangle amoureux ne bouclerait pas sa boucle et que Madeleine ne se tournerait pas vers Mitchell, qui est un personnage qui symbolise pour moi les normes de la bonne société. Madeleine en est tout autant imprégnée. Lorsqu'elle apprend la grave dépression de Léonard ainsi que le diagnostique qui en découle, la magnaco-dépression, elle décide de l'épouser par amour et surtout par devoir. Ce n'est que la fuite de Léonard qui lui permet d'envisager de rentrer dans le rang. Evidemment, après avoir disserté pendant près de 500 pages sur le mariage dans la bonne société victorienne, elle pouvait difficilement ne pas tomber amoureuse de Mitchell.
Le roman du mariage, Jeffrey Eugenides, Editions de l'Olivier, 2013

samedi 20 avril 2013

Apaiser l'âme


Octave Lassale, ancien chirurgien de 90 ans, décide de choisir les personnes qui vont l'accompagner durant ses dernières années de vie. Tout au long de sa vie, des hommes et des femmes se sont abandonnés à ses mains expertes et c'est à son tour de se laisser aider par d'autres. Lassale n'a pourtant pas choisi au hasard ses futurs compagnons. Tous portent en eux une blessure, des drames passés. Ils vont se découvrir peu à peu, les uns les autres, tels qu'ils sont, des gens chaleureux prêts à donner.
Arrivé au terme de sa vie, Lassale porte toujours un chagrin immense, celui d'avoir perdu sa fille unique, Claire, des suites d'un accident de voiture. Lui, le grand professeur, s'est vu incapable de l'opérer et l'a confié à un de ses confrères. Son couple n'a pas survécu à ce deuil. C'est Hélène, la peintre, à qui il a commandé le portrait de Claire, qui fera la paix auprès de son ancienne épouse. Jeanne Benameur dresse des portraits d'hommes et de femmes bouleversants que je préfère vous laisser découvrir. Avec pudeur, douceur, ils mêlent leur douleur, la partage pour peu à peu la dépasser. Un livre magnifique qui est un des mes grands moments d'émotion de cette année.
Profanes, Jeanne Benameur, Actes Sud, 2013

lundi 15 avril 2013

Real humans ?

Paris 2060. Tycho Mercier, professeur à l'université et spécialiste de l'histoire du XXe siècle, rentre chez lui et se retrouve nez à nez avec le clone d'Adolphe Hitler ou plutôt AH6, le sixième clone d'Hitler. AH6, Dolfi pour les intimes, est le lot gagnant d'une tombola remportée par l'ex femme de Mercier, qui devient l'heureux propriétaire d'un clone désormais interdit à la fabrication.
Les clones ont fait leur apparition dans la vie quotidienne. Après avoir autorisé le clonage des personnes de leur vivant, la loi permet de cloner celles qui sont mortes depuis plus de 70 ans. Ainsi, Tycho Mercier ne peut s'empêcher d'envier son voisin, heureux propriétaire d'une sublime Marilyn Monroe, compagne et amante de ce dernier. 
Les clones sont des êtres à peine sortis de l'enfance à qui l'on inculque ce que l'on veut. La charmante Marylin a été éduquée pour devenir un objet sexuel tandis que Dolfi, ignorant tout du passé de celui avec qui il partage le même patrimoine génétique, est déconcertant par sa naïveté et son absence de caractère.
Quelle est la conscience d'un clone ? Que sait-il et que peut-il faire ? Ils sont comme des enfants sans conscience de leur vie antérieure. Mercier n'arrive pas à se débarrasser de Dolfi qui est un innocent qui n'a pas demandé à naître. Il le protège à plus forte raison qu'il connaît le sort des clones prohibés que l'on régule - terme officiel pour signifier qu'ils sont tués. Le clone d'Hitler se trouve ainsi dans la position du sous-homme, l'Untermensch, celui qui n'a pas de droits, ni d'éducation, ni la possibilité de procréer (normalement).
Après de nombreuses péripéties, Dolfi est pris en main par une organisation sous la houlette d'un milliardaire nazi, véritable survivant de la chirurgie moderne, qui souhaite voir revivre le Reich avec à sa tête une figure fédératrice et une marionnette entre les mains. Parviendra-t-il à ses fins ?
J'ai beaucoup aimé ce livre intelligent qui pose de nombreuses questions éthiques. Malgré quelques longueurs, je l'ai lu avec grand plaisir. La question des garde-fous revient sans cesse à une époque où nous ne cessons de réaliser des prouesses technologiques. Jusqu'où devons nous aller ? La question reste en suspend.
Dolfi et Marilyn, François Saintonge, Grasset, 2013

mardi 9 avril 2013

Kibboutz

Le kibboutz Yikhat est une petite communauté où tout se sait. Les couples se font et se défont malgré la morale et le qu'en dira-t-on. Certains membres ont plus de retenue et préfèrent taire leurs sentiments plutôt que de les exprimer car dans cette communauté régie par des idéaux marxistes,les tâches sont partagées et où les décisions sont prises ensemble, on est au final bien seul.
Ces petites histoires sont bien cruelles. Les aspirations des uns sont parfois en butte aux règles du kibboutz, les espoirs des autres bafoués par un proche ou leur propre femme. Rien n'est simple dans cette société conçue pour vivre en autarcie, le souhait d'un individu ne correspondant pas aux choix du groupe est systématiquement repoussé. Cette société qui veut s'ériger en modèle se heurte à ses propres idéaux. Ce n'est pas par hasard que la dernière nouvelle traite de l'espéranto. Ce rêve d'une langue unique, qui n'a pu rassembler les peuples comme au temps de Babel, marque symboliquement la crise des valeurs du kibboutz.
Amos Oz entremêle avec un art consommé les destinées de quelques personnages : les personnages principaux des nouvelles deviennent des personnages secondaires dans les autres et font le lien entre tous les textes. Avec une économie de moyens, il fait de très beaux portraits montrant la nature humaine dans ce qu'elle a de plus mesquin ou de plus émouvant. A l'aube de sa vie, son regard est sans concession. J'avais découvert Amos Oz, il y a quelques années, et je suis toujours admirative de son travail.
Entre amis, Amos Oz, Gallimard, 2013

lundi 1 avril 2013

Carpe diem

Bràs de Oliva Domingo travaille pour un journal dans lequel il rédige la rubrique nécrologique. Il relate les vies des personnes disparues, ce qui ont fait d'elles des êtres uniques pour leurs proches. Il remarque cependant qu'on oublie bien souvent l'essentiel et que ce sont des événements marquants qui nous le rappelle. Le soir de ses 32 ans, alors qu'il prend un café dans un bar avant la cérémonie qui va consacrer son père comme un des plus grands écrivains du Brésil, sa vie va basculer.
Nous allons retrouver Bràs à différents âges de sa vie, revivre avec lui tous les moments décisifs de son existence : ses vacances en famille, son voyage avec son meilleur ami, sa rencontre avec la femme de sa vie, la naissance de son fils etc. Chacun de ces instants sont comme de nouvelles étapes qui le rendent plus fort et lui permettent d'arpenter le chemin de la vie. 

Or la vie de Bràs, comme celle de tout être vivant, n'est qu'une succession de miracles. Bràs a échappé de peu à la mort dès la naissance après une panne de courant générale empêchant toute réanimation de cet enfant qui ne poussait pas son premier cri. Chaque tournant de la vie peut être fatal, c'est ce que nous montre Fabio Moon et son frère Gabriel Bà. A des âges différents, Bràs aurait pu mourir par accident plutôt que de poursuivre sa vie. Nous frôlons la mort à chaque instant ; elle est d'ailleurs la fin inéluctable de chacune de nos existences.
Cette longue méditation sur la mort est un formidable hymne à la vie. Il faut vivre sa vie au jour le jour, en profiter pleinement et se donner les moyens de réaliser ses rêves. Ce travail magnifique, entrepris de 2008 à 2010, m'a vraiment ému. Le dessin superbe, la mise en page réussi, la profondeur et la cohérence de la narration font que ce roman graphique vous émerveille durant sa lecture et vous laisse songeur une fois refermé. Magnifique  !
Daytripper, au jour le jour, Fabio Moon et Gabriel Bà, Urban Comics Vertigo, 2012



 



 
Merci à Juan-Luis de PriceMinister ainsi qu'aux deux blogs partenaires.
Ma note : 18/20