mardi 28 juin 2011

Les croyances ont la peau dure


Valentine Vendermot hésite à franchir les portes de la Brigade criminelle pour demander son aide au commissaire Adamsberg. Il est difficile d'expliquer à quelqu'un que Lina, sa fille, a vu passer la nuit, dans la forêt d'Alance, l'Armée furieuse aussi appelée la Mesnie Hellequin. Ce cortège étrange composé de mort-vivants vient depuis le XIe siècle s'emparer des hommes dont les crimes sont restés impunis. Lina a reconnu des hommes du village d'Ordebec et l'un d'eux a déjà disparu... Délaissant une enquête sur la mort d'un grand industriel qui commence à sentir le roussi, Adamsberg part pour la Normandie.
Fred Vargas mène de front deux affaires : l'une est ancrée dans le monde contemporain tandis que l'autre baigne dans ce fonds de peurs ancestrales si chères à l'auteur. Sans avoir de liens réels entre elles, elles sont imbriquées de manière assez habile. De nouveaux personnages savoureux font leur apparition comme la vielle Léo et l'étonnante fratrie Vendermot. Quant au personnage de Zerk (apparu dans Un lieu incertain, mais je n'en dirais pas plus pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui ne l'ont pas lu), il commence à prendre de l'épaisseur, mais j'aurais aimé que ses liens avec le commissaire soient un peu plus approfondi. Quoiqu'il en soit, ce dernier opus de Vargas est vraiment très bon !
L'armée furieuse, Fred Vargas, Viviane Hamy, 2011

samedi 18 juin 2011

Un poème apocalyptique

Syn et Ack, son loup, parcourent les étendus d'un monde dévasté. Les hommes se sont regroupés et ont reformé des communautés avec leurs règles de vie propres : certains sont devenus des troglodytes, d'autres nomades, d'autres encore fouillent les ruines d'une civilisation passée. Ils se protègent  tous des diasols, des robots d'un ancien temps, seuls  vestiges encore actifs de cette époque.
Petites touches par petites touches, nous prenons la mesure de cette univers. La langue est belle et il y a un vrai travail d'écriture et de mise en forme. Les noms latins des chapitres donnent le ton de ceux-ci et apporte une dimension nostalgique. La mélancolie baigne ce livre. Son atmosphère vous imprègne peu à peu et finit par vous submerger. L'intrigue, qui se développe lentement, narre la quête des origines de Syn et la découverte du sort de l'humanité. Une humanité qui doit malgré tout continuer à avancer et se trouve à nouveau à l'heure des choix.
Cygnis, Vincent Gessler, L'Atalante, 2010

samedi 11 juin 2011

Un roman noir gothique

Adamsberg et Danglard sont invités à Londres pour suivre un colloque professionnel. Rien de bien passionnant pour le commissaire surtout si on ne comprend pas un traître mot d'anglais et que l'on dépend de son adjoint pour toute forme de communication verbale. C'était sans compter une visite surprise dans le fameux cimetière de Highgate où dix-sept pieds d'hommes et de femmes fraîchement décongelés et pourvus de chaussures de fabrication française et serbe sont déposés devant l'entrée...
Fred Vargas s'intéresse beaucoup aux mécanismes des peurs collectives. Elle avait abordé par le passé la bête monstrueuse, la peste, et cette fois-ci, elle s'attaque au mythe du vampire dans son berceau d'origine les Balkans. Les croyances ancestrales et les peurs qu'elles engendrent sont à l'origine des meurtres sanglants auxquels sont confrontés la brigade. Ce côté anthropologique est un des aspects de l'oeuvre de Vargas qui m'intéresse le plus, d'autant qu'elle parvient à l'insérer et à l'utiliser habilement dans le cadre de la fiction. Clin d'oeil réussi à Bram Stocker !
Un lieu incertain, Fred Vargas, Viviane Hamy, 2008

jeudi 9 juin 2011

Une jeunesse désenchantée

Une bande de copains, qui s'est formée à l'université, se retrouve de temps en temps pour une session de musique en studio. Tous ont du mal à s'insérer dans la vie active : entre le chômage, les petits boulots mal payés ou les emplois stables mais contraignants, aucun d'eux ne s'y retrouve au fond. 
En proie au doute, une question lancinante revient : est-il encore temps de réaliser ses rêves ou faut-il finalement rentrer dans le rang ? D'autant qu'il faut faire face aux  réalités du quotidien mais aussi aux drames qui peuvent survenir là où on les attend le moins. Le temps d'un court instant nous partageons les joies, les peines et les peurs de cette bande de copains, mais la vie reprend ses droits et leur chemin se séparent. Une page se tourne.
Le dessin très réaliste et expressif d'Asano rend les personnages plus proches. L'émotion affleure tout au long de son récit et rend Meiko et ses amis très attachants. Il dépeint avec talent une jeunesse qui se cherche et à laquelle  beaucoup pourront s'identifier.
Solanin, T.1 et T.2, Asano Inio, Kana, 2007-2008

jeudi 2 juin 2011

La fontaine de jouvence

Tout commence par une de ces intuitions dont le commissaire Adamsberg a le secret : pourquoi des hommes, qui viennent d'être proprement égorgés suite à un probable règlement de compte entre dealers, ont-ils de la terre sous les doigts ? Qui a bien pu les engager pour ouvrir et refermer discrètement une tombe sans rien prendre au premier abord ? Tels sont les premiers éléments de cette nouvelle intrigue dont les fils sont ténus et pourtant savamment entrelacés. 
Plus que jamais  le roman fleurte avec le fantastique sans pour autant verser dans l'irréalisme le plus total. Fred Vargas, tel un funambule, reste sur son fil et ne le perd pas. Jamais avare de nouveaux personnages, elle introduit celui du lieutenant Veyrenc de Bilhc qui a la fâcheuse habitude de ne s'exprimer qu'en alexandrins ! Les jeux avec les mots et avec notre langue sont encore au rendez-vous. Un bon cru !
Dans les bois éternels, Fred Vargas, Viviane Hamy, 2006

mercredi 1 juin 2011

L'émergence d'une conscience nouvelle

En 1979, les gallinacés atteignent un nouveau niveau de conscience les rendant capables de penser et de s'exprimer pour le plus grand désarroi de l'humanité. De nos jours, Jake Gallo traîne son spleen ne sachant pas vraiment ce qu'il veut faire de sa vie. Son père Elmer, qui vient de décéder, lui lègue son journal intime dans lequel il raconte son éveil à la conscience et la difficile cohabitation avec les humains.
Conte violent et tragique, le récit de Gerry Alanguilan traite de la ségrégation et du racisme. Du jour au lendemain, ceux qui étaient parqués et élevés pour être consommés deviennent des êtres avec qui il faut compter. Les massacres et les humiliations au nom de la supériorité d'un peuple sur un autre sont dénoncés par l'absurde et avec un dessin précis et réaliste. C'est une lecture étonnante et décapante, qui peut être un contrepoint intéressant à Maus de Spiegelman.
 Elmer, Gerry Alanguilan, Ed. ça et là, 2010