vendredi 27 septembre 2013

Trafics post mortem



La fin de la guerre s'approche, les soldats de chaque camp s'observent et attendent. Les gars tiennent le bon bout, on est le 2 novembre 1918, pourquoi risquer de perdre sa vie. Les officiers dont fait partie le lieutenant Aulnay-Pradelle ne l'entendent pas ainsi. Conquérir une côte ou une tranchée supplémentaire, c'est être plus fort à la table des négociations. Le lieutenant y tient d'autant plus que cette lui permet de redorer le blason de sa famille et d'être auréolé de la gloire des héros de guerre. Pour remotiver ses troupes, il leur fait croire que les Allemands ont tué deux de leurs compagnons aux avant-postes alors qu'il tire dans le dos de ces malheureux. Albert a la malchance de découvrir le pot-aux-roses et réchappe de peu à la mort grâce à l'intervention d'Edouard, qui est grièvement blessé.
L'avenir est sombre pour les poilus. Ils ne retrouvent pas leur place dans la société remplacés par d'autres au travail ou trop traumatisés pour vivre normalement Albert, comme d'autres, a perdu son travail de comptable et sa petite amie. Il a également une dette envers Edouard qui reste défiguré par un obus. Quelle vie peut-il mener avec ce trou béant qu'il a à la place de la bouche et de la gorge ? Edouard s'enfonce peu à peu dans la drogue pour combattre sa douleur physique et morale mais une idée voit le jour peu à peu : il va monter une combine incroyable avec Albert qui consiste à vendre des monuments funéraires dédiés aux héros de la guerre.
Aulnay-Pradelle, comme nos deux compères, profite aussi de cet étrange climat pour créer son affaire. Il est chargé par l'Etat de s'occuper des cimetières militaires, de rassembler les corps des soldats morts, de les identifier et de les enterrer décemment. Pierre Lemaitre nous décrit ce chaos incroyable des exhumations funéraires qui occasionna un véritable scandale. 
J'ai suivi avec beaucoup de plaisir les tribulations de ces trois personnages qui présentent chacun une facette de la guerre : un rescapé, une gueule cassée et un soi-disant héros. Leurs motivations, leurs émotions sont très bien décrits. Chacun, par sa propre existence, pose la question de son devenir à un Etat qui veut oublier, masquer les horreurs de la guerre, planquer les vivants encombrants pour glorifier les vertus et les valeurs des disparus. Ce iatus, Pierre Lemaitre, le montre très bien dans les différentes strates de la société française, c'est ce qui rend son livre riche et lui donne une véritable épaisseur.
Au revoir-là-haut, Pierre Lemaitre, Albin Michel, 2013

lundi 16 septembre 2013

La cravate

Taguchi Hiro vient de sortir de chez lui après être resté enfermé deux ans dans sa chambre. Il se rend au parc où il conserve de nombreux souvenirs d'enfance. Assis sur un banc, il observe Ohara Tetsu, un employé qui vient d'être licencié sans oser l'avouer à sa femme. Tous les jours, il fait semblant d'aller au bureau et passe ses journées dans le parc. Chacun s'observe, s'apprivoise et finit par se dévoiler.
Le jeune homme comme l'homme mûr ont vécu des drames personnels. Ils se délivrent de leur douleur en en parlant à un quelqu'un qui est tout à fait à même de comprendre. Le style de l'auteur est très épuré, voire minimaliste à l'image de la littérature nippone. Elle aborde des thèmes difficiles tels que le suicide, la mort d'un enfant, le désintérêt pour la vie professionnelle avec délicatesse et en les restituant toujours par rapport au contexte de la société japonaise qui rejette la différence.
Connaissant quelque peu la société japonaise, je n'ai pas été particulièrement surprise par le déroulement de l'histoire qui est cependant fort bien menée et se termine par une lueur d'espoir. A ceux qui voudrait connaître davantage sur le Japon, ce court roman est vous éclairera très bien.
La cravate, Milena Michiko Flasar, Ed. de l'Olivier, 2013

mardi 10 septembre 2013

Red Hook

Un soir d'été, Val et June, deux adolescentes habitant le quartier de Red Hook, à Brooklyn, décident de se balader un canot pneumatique le long de l'East River, inconscientes du danger. Le lendemain matin, Val est retrouvée par Jonathan, professeur de musique du collège tandis que June reste introuvable. Les habitants du quartier s'intéressent peu à peu à ce fait divers...
Ivy Pochoda évoque l'atmosphère particulière de Red Hook où de nombreuses communautés se côtoient. Les zones résidentielles jouxtent des quartiers pauvres voire des friches industrielles. Cette évocation ne m'a pas touchée, à plus forte raison après l'excellent Triburbia sur le quartier de Tribeca. Quant au suspens que certains ont évoqué dans leur critique, je le cherche. L'histoire est particulièrement linéaire et simple. Une fois présenté tous les protagonistes, vous avez une idée assez claire de ce qui a pu se passer. Je n'ai lu que la moitié du roman, ma lecture était poussive et j'ai décidé de m'arrêter. J'ai regardé le dernier chapitre pour vérifier mon hypothèse de départ qui s'est avéré confirmée et a conforté ma première impression. Je n'ai pas été sensible à l'atmosphère de ce livre ni à ses personnages qui ne sont pas assez incarnés à mes yeux.
L'autre côté des docks, Ivy Pochoda, Liana Levi, 2013

 
Prix Page America 2013

mercredi 4 septembre 2013

Lolita, où es-tu ?

David Lamb rend visite à son père peu de temps avant de l'enterrer. Son mariage part à la dérive, la société qu'il a créée avec son associé ne l'intéresse plus ainsi que sa jeune maîtresse Linnie. Alors qu'il traîne son mal être sur un parking paumé, il croise Tommie, une gamine de 11 ans que ses copines poussent à aborder. La confiance de Tommie, ainsi que ses taches de rousseur, séduisent Lamb qui va l'entraîner dans un long voyage à travers les Etats-Unis, au fin fond des plaines du Middle West.
Présenté comme un nouveau Lolita par les éditeurs, je suis navrée de dire que ce n'est pas le cas. Lamb n'est pas Humbert Humbert et Tommie n'est certainement pas Lolita. Le personnage de Tommie n'a pas la même épaisseur ni la même profondeur que celui de Lolita. Les rapports de force et les enjeux de leur relation ne sont pas les mêmes. Lamb est un très habile manipulateur. Il persuade toujours Linnie et Tommie à faire ce qu'il veut ce qui le rend extrêmement dangereux. Tout au long du livre, la petite fille tente de rentrer chez elle mais elle est toujours retenue d'une manière ou d'une autre par Lamb. 
Plus on avance dans le roman plus il tente de choses. La scène du bain est significative de son pouvoir de persuasion et des doutes qui assaillent l'enfant sur les actes et les attouchements de cet adulte sur elle. Tommie est sauvée grâce à l'arrivée inopinée de Linnie dans la cabane où elle est seule avec Lamb. Ce dernier reporte ses pulsions sexuelles sur la jeune femme sauvant l'enfant d'un drame qui paraissait inéluctable.
Le pouvoir et la domination d'un adulte sur un enfant : c'est ainsi que l'on pourrait résumer ce livre malsain. Il montre les mécanismes psychologiques mis en place par le manipulateur pour obtenir ce qu'il veut. Pour le reste, vous pouvez passer votre chemin et lire le bien plus intéressant Lolita de Nabokov.
Lamb, Bonnie Nazdam, Fayard, 2013


Prix Page America 2013